L’aquaculture en cages sur le lac Victoria, un mode d’élevage intensif du poisson, s’est imposée comme une solution moderne à la baisse des stocks de poissons sauvages en Afrique de l’Est. Des rives de l’Ouganda au Kenya, de vastes installations flottantes ont remplacé les méthodes de pêche traditionnelles, répondant ainsi à la demande croissante en protéines et créant des emplois. Cependant, derrière ce succès économique se cachent des défis environnementaux et sociaux majeurs
Un essor économique spectaculaire
Face à la diminution alarmante des poissons sauvages, l’aquaculture en cages s’est développée à une vitesse impressionnante. En Ouganda, la production de poisson en cage a explosé, passant de 800 à plus de 138 000 tonnes entre 2006 et 2021. Au Kenya, plus de 4 000 cages sont désormais en exploitation. Pour de nombreux jeunes entrepreneurs, cette industrie est une chance de s’émanciper financièrement dans une région où le chômage est élevé et l’accès à la terre difficile. Les gouvernements perçoivent également ce secteur comme un pilier essentiel de leur “économie bleue”.
Une menace grandissante pour l’écosystème du lac
Malgré ses bénéfices, cette croissance fulgurante représente un danger pour l’équilibre écologique du lac Victoria. Des études scientifiques révèlent que l’élevage en cages libère d’importantes quantités de déchets organiques, tels que des excréments et des aliments non consommés, riches en azote et en phosphore. Cette pollution nutritive peut entraîner la prolifération d’algues, appauvrissant l’eau en oxygène et causant des mortalités massives de poissons.
De plus, la forte concentration de poissons dans les cages favorise la propagation des maladies et des parasites, qui peuvent ensuite se transmettre aux espèces sauvages. L’évasion de poissons élevés, notamment le poisson-chat d’Afrique du Nord, constitue également une menace, car ces prédateurs perturbent les écosystèmes locaux et rivalisent avec les espèces indigènes. À terme, les scientifiques craignent une perte de biodiversité, avec un lac qui ne serait peuplé que de quelques espèces robustes et résistantes à la pollution.
Des tensions sociales et un manque de régulation
L’essor de l’aquaculture en cages a également créé des conflits avec les pêcheurs traditionnels. Ces derniers dénoncent la privatisation de portions du lac et l’obstruction des zones de reproduction, les empêchant d’exercer leur métier. Ces tensions ont déjà mené à des actes de vandalisme et de violence, soulignant la nécessité urgente de trouver un équilibre entre les intérêts des investisseurs et ceux des communautés locales.
Les gouvernements tentent d’instaurer des régulations, notamment en limitant la densité des cages ou en instaurant des systèmes de licences. Cependant, la mise en œuvre de ces règles reste difficile et de nombreuses installations opèrent encore sans autorisation.
L’avenir du lac en jeu
L’avenir de l’aquaculture en cages en Afrique de l’Est dépendra de la capacité des gouvernements et des acteurs de l’industrie à gérer cette croissance de manière durable. Les experts appellent à des mesures strictes :
- Une meilleure surveillance environnementale pour contrôler la qualité de l’eau.
- La mise en place de zones de développement claires pour éloigner les cages des zones sensibles.
- L’adoption de meilleures pratiques de gestion pour réduire la pollution.
Le défi est de taille. L’élevage de poissons en cages a le potentiel d’assurer la sécurité alimentaire et de stimuler les économies de la région. Mais si cette industrie n’est pas correctement encadrée, elle pourrait endommager de façon irréversible la ressource même dont elle dépend. L’enjeu n’est pas seulement de produire du poisson, mais de préserver un écosystème vital pour des millions de personnes.