Les dirigeants africains ont souligné qu’une valorisation adéquate des ressources naturelles du continent pourrait transformer en profondeur son paysage financier, en facilitant l’accès aux flux financiers mondiaux, en améliorant les profils de risque des pays et en ouvrant de nouvelles perspectives d’investissement dans les économies vertes et les infrastructures résilientes face au climat.
« La valorisation adéquate du capital naturel et des services écosystémiques qu’il fournit — comme la séquestration du carbone — est une stratégie gagnant-gagnant pour les économies en croissance », a affirmé Kevin Urama, économiste en chef et vice-président de la Banque africaine de développement (BAD).
« Nous devons prendre des décisions audacieuses et agir rapidement pour accélérer la mesure de la richesse verte de l’Afrique », a ajouté l’ambassadrice Hilda Suka-Mafudze, représentante permanente de l’Union africaine aux États-Unis.
Les dirigeants africains appellent à une refonte des outils de mesure de la richesse verte du continent, estimant que les indicateurs actuels du produit intérieur brut (PIB) sont obsolètes et sous-évaluent profondément la véritable richesse de l’Afrique.
Ce plaidoyer a été exprimé jeudi lors d’un événement organisé conjointement par la Commission de l’Union africaine et le Groupe de la Banque africaine de développement à la Mission de l’Union africaine à Washington, en marge des Réunions de printemps 2025 du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI).
« Il faut que nos discours se traduisent en actes. Il est temps de transformer nos engagements en actions concrètes », a déclaré l’ambassadrice Suka-Mafudze. « Nous devons investir dans nos systèmes de comptabilité nationale. Si nous voulons évaluer avec précision notre richesse et créer des réserves d’actifs, nous pourrons les mobiliser pour réaliser nos ambitions de prospérité partagée et de développement durable. »
L’événement a mis en lumière les conclusions d’un rapport publié en 2024 par la BAD. Il révèle que l’intégration de la valeur du carbone séquestré dans les forêts africaines aurait permis d’ajouter 66,1 milliards de dollars au PIB du continent en 2022, soit une hausse d’environ 2,2 %. Le rapport, intitulé Mesurer la richesse verte des nations : capital naturel et productivité économique en Afrique, a été présenté par le Pr Kevin Urama.
Les dirigeants ont souligné que la valorisation appropriée des ressources naturelles africaines permettrait au continent d’accéder plus largement aux flux financiers mondiaux, d’améliorer les profils de risque des pays et de renforcer les capacités d’investissement dans les économies vertes et les infrastructures résilientes au changement climatique.
Cet appel à l’action intervient en amont de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP30), prévue en novembre à Belém, au Brésil, où les leaders africains comptent réclamer une réforme de l’architecture économique et financière mondiale, afin qu’elle reflète mieux la richesse verte et la contribution du continent à la durabilité.
« Il est temps de redéfinir notre identité en tant qu’Africains », a déclaré le Premier ministre du Niger, Ali Lamine Zeine, lors d’un panel consacré aux étapes concrètes de mise en œuvre du Système de comptabilité nationale 2025 (SCN 2025) en Afrique. « L’Afrique est sous-estimée. Nous devons agir stratégiquement pour changer cela. »
Les participants ont rappelé que plusieurs pays africains utilisent encore des systèmes de comptabilité datant de 1968. Le SCN est un standard international permettant de structurer les comptes nationaux de manière harmonisée.
La ministre malgache de l’Économie et des Finances, Rindra Rabarinirinarison, a plaidé pour un transfert de technologies plus soutenu et un renforcement des capacités techniques afin de doter les pays africains de systèmes statistiques adaptés au capital naturel. Elle a mentionné le lancement de projets pilotes à Madagascar pour mieux évaluer la valeur de ses ressources naturelles : « Madagascar est un pays riche, mais pas un pays de riches », a-t-elle regretté.
Erich Strassner, du département des statistiques du FMI, a salué le rapport comme un document transformateur. Il a assuré que le FMI collaborerait avec la Banque mondiale, la BAD et les gouvernements africains pour mettre en œuvre ses recommandations. Il a insisté sur l’importance de s’adapter aux priorités de chaque pays pour définir des feuilles de route sur mesure.
Citant les données de la BAD, l’ambassadrice Suka-Mafudze a souligné qu’une réévaluation du PIB sur la seule base du carbone stocké dans les forêts entraînerait des hausses substantielles : +38,2 % pour la Côte d’Ivoire, +36,7 % pour le Bénin et +33,5 % pour le Niger. « Nous devons nous assurer d’une valorisation juste de la richesse verte africaine. Une fois intégrée dans nos comptes nationaux, cette base d’actifs permettra de mieux positionner nos économies et d’élargir l’accès au financement du développement. »
Dans sa présentation, le Pr Urama a rappelé que la valeur économique des ressources naturelles africaines atteignait 6 200 milliards de dollars en 2018. Le continent représente 26 % de la séquestration mondiale de carbone forestier, tout en n’émettant que 4 % des émissions mondiales de carbone.
« La richesse verte de l’Afrique et les biens publics mondiaux qu’elle fournit sont largement ignorés dans les évaluations économiques », a-t-il déclaré. « Cela contribue à sous-estimer fortement le PIB de nombreux pays africains. »
Il a également souligné que les services écosystémiques et l’économie informelle ne sont pas intégrés dans le calcul du PIB. Une revalorisation de ces actifs via la comptabilité du capital naturel et la mise à jour des SCN, incluant le secteur informel, pourrait significativement augmenter le PIB du continent et améliorer l’accès à des financements durables.
« Il ne s’agit pas seulement de corriger des statistiques, mais d’assurer une comparabilité réelle du PIB entre les pays africains et le reste du monde. Mettre à jour les SCN permettra de comparer les mêmes paniers de biens et services, et d’éviter de comparer des pommes avec des oranges », a insisté Urama.
Il a appelé les États africains à allouer des budgets suffisants pour moderniser leurs systèmes de comptabilité nationale et réévaluer leur PIB : « C’est un investissement stratégique, qui peut porter rapidement ses fruits. »
Le professeur Victor Murinde, secrétaire exécutif du Consortium africain de recherche économique, a qualifié le nouveau modèle développé par la BAD de « véritablement transformateur » :
« C’est une avancée audacieuse pour combler un vide méthodologique dans la mesure de la richesse réelle des nations. Ce rapport offre une base précieuse pour les économistes, afin d’améliorer les méthodes d’évaluation à l’avenir. »
La Banque africaine de développement s’est engagée à travailler avec la Banque mondiale, le FMI et d’autres partenaires pour mettre en œuvre les recommandations du rapport. Elle prépare aussi des actions concrètes : élaboration de méthodes standards de valorisation des ressources naturelles, intégration des objectifs environnementaux dans les politiques publiques, formation d’experts locaux et accompagnement des pays africains pour valoriser leurs atouts écologiques sur les marchés mondiaux du carbone. Le Groupe de la BAD hébergera également la Communauté africaine de pratique sur la comptabilité du capital naturel.