L’Afrique devrait engager des négociations commerciales « flexibles et constructives » avec les États-Unis, a déclaré M. Adesina lors d’une interview exclusive dans l’émission « Amanpour » sur CNN
Alors que les États-Unis imposent des droits de douane plus élevés avec des répercussions mondiales, le président du Groupe de la Banque africaine de développement (www.AfDB.org), Akinwumi Adesina, a averti que ces mesures pourraient déclencher d’importantes perturbations économiques en Afrique, affectant de nombreux pays et accélérant un changement stratégique dans les partenariats mondiaux.
Dans une interview exclusive accordée à Christiane Amanpour sur la chaîne CNN, M. Adesina a indiqué que 47 des 54 pays africains seraient directement touchés par la nouvelle politique commerciale américaine, avec une baisse potentielle des recettes d’exportation et des réserves de change.
« Lorsque ces devises s’affaibliront, deux choses se produiront : premièrement, vous constaterez que la plupart de ces pays sont dépendants des importations. Ils seront donc confrontés à une inflation élevée », a déclaré M. Adesina. « Deuxièmement, vous constaterez que le coût du service d’une grande partie de leur dette, qui est une dette en devises étrangères, mais libellée en monnaie locale, s’alourdira. »
Presque tous les pays africains ont été touchés par les augmentations de droits de douane annoncées par l’administration Trump, et au moins 22 pays sont confrontés à une hausse pouvant aller jusqu’à 50 % sur la quasi-totalité de leurs produits. Parmi les pays les plus durement touchés figurent le Lesotho, Madagascar, Maurice, le Botswana, l’Angola, l’Algérie et l’Afrique du Sud.
L’impact de cette hausse des droits de douane est exacerbé par les coupes importantes dans les programmes de l’USAID, qui ont déjà commencé à affecter l’accès aux fournitures médicales essentielles et aux services humanitaires dans de nombreux pays, soulevant de sérieuses inquiétudes quant à l’avenir des relations entre les États-Unis et les pays d’Afrique.
Réponse stratégique de l’Afrique
Malgré ces défis, M. Adesina a souligné que l’Afrique ne pouvait pas se permettre une confrontation commerciale avec les États-Unis, notant que le continent ne représentait que 1,2 % (environ 34 milliards de dollars) du commerce mondial des États-Unis, avec un excédent commercial de seulement 7,2 milliards de dollars.
À la place, il a proposé une stratégie pragmatique en trois points pour le continent : engager avec les États-Unis des négociations commerciales flexibles et constructives ; diversifier les marchés d’exportation afin de réduire la dépendance vis-à-vis d’un seul partenaire ; et accélérer la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) afin de libérer le potentiel d’un marché de 3 400 milliards de dollars.
M. Adesina a souligné la nécessité d’élargir le marché intérieur africain et de stimuler l’épargne nationale afin de développer la consommation et d’augmenter sa part dans le PIB, tirant parti de la croissance démographique massive du continent. Plus important encore, le continent doit tirer parti de l’intérêt extérieur croissant pour ses ressources naturelles, dont le cobalt et le lithium, afin de négocier de meilleurs accords commerciaux et d’investissement.
” Les États-Unis sont un allié clé de l’Afrique, tout comme la Chine “
Répondant aux spéculations selon lesquelles l’Afrique pourrait se tourner d’une manière plus affirmée vers la Chine, en réponse à la hausse des droits de douane américains, M. Adesina a rejeté toute idée d’alignement de façon binaire. « Les États-Unis sont un allié clé de l’Afrique, tout comme la Chine », a-t-il précisé. « L’Afrique construit des ponts, elle ne s’isole pas. »
M. Adesina a rappelé que l’Afrique recherchait des partenariats équilibrés, transparents et mutuellement bénéfiques avec les principaux acteurs mondiaux, notamment les États-Unis, la Chine, l’Union européenne et les États du Golfe. « Je pense qu’en fin de compte, nous voulons nous assurer que tous les accords conclus avec l’Afrique sont transparents, équitables et menés par l’Afrique et dans l’intérêt de l’Afrique » a-t-il réaffirmé.
Au-delà de l’aide : promouvoir l’autonomie de l’Afrique
M. Adesina, qui achève, en septembre prochain, son second mandat à la tête de la Banque, a fermement rejeté le paradigme traditionnel de la dépendance à l’aide étrangère. « L’époque de l’aide telle que nous l’avons connue est révolue », a-t-il assuré, appelant plutôt à des investissements audacieux dans la mobilisation des ressources nationales, les infrastructures et l’industrialisation à valeur ajoutée.
Selon lui, l’aide doit être transformée en financement concessionnel afin de permettre aux institutions financières multilatérales, telles que la Banque africaine de développement, de faire plus pour le continent en mobilisant davantage de capitaux privés pour développer et dérisquer des projets.
Alors que l’Afrique représente près de 20 % de la population mondiale et moins de 3 % du PIB de la planète, le président du Groupe de la Banque a souligné un scénario de croissance résiliente et transformatrice : dix des vingt économies les plus dynamiques au monde se trouvent en Afrique.
M. Adesina a souligné les initiatives phares du programme « High 5 » de la Banque africaine de développement, qui ont eu un impact sur plus de 565 millions de personnes grâce à des investissements dans l’énergie, la sécurité alimentaire, l’industrialisation, l’intégration régionale et des initiatives visant à améliorer la qualité de vie des populations africaines.
Au cours de la dernière décennie, la Banque africaine de développement a investi plus de 55 milliards de dollars dans les infrastructures afin de renforcer l’intégration économique en Afrique, parallèlement à d’autres investissements essentiels pour stimuler une croissance inclusive. Elle est de loin le plus grand bailleur de fonds pour les infrastructures en Afrique.
M. Adesina a également évoqué le formidable potentiel du projet « Mission 300 », une initiative conjointe de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement visant à raccorder 300 millions de personnes à l’électricité en Afrique d’ici à 2030. « Car sans électricité, que peut-on faire ? Il est impossible de s’industrialiser, de créer de la valeur ajoutée, d’être compétitif dans l’obscurité », a-t-il affirmé.
Il a souligné les réalisations de l’Africa Investment Forum (AIF), lancé en 2018 par la Banque et huit autres partenaires, indiquant que celui-ci avait mobilisé plus de 225 milliards de dollars d’intérêts d’investissement pour le continent. L’AIF est une plateforme multipartite et multidisciplinaire qui fait progresser les projets jusqu’à un stade bancable, lève des capitaux et accélère la clôture financière des transactions.
M. Adesina estime que malgré les défis auxquels l’Afrique est confrontée, elle est la plus grande destination d’investissements dans des projets entièrement nouveaux et qu’elle reste « le rêve des investisseurs ».
« Nous avons l’hydroélectricité. Nous avons une très grande population jeune qui peut devenir la main-d’œuvre du monde. 65 % des terres arables restantes dans le monde pour nourrir près de 9,5 milliards de personnes d’ici à 2050 se trouvent en Afrique. Aussi, ce que l’Afrique en fera déterminera l’avenir alimentaire de la planète », a-t-il conclu.